L'église de
NUAILLÉ-sur-BOUTONNE (17)
en SAINTONGE
Texte
intégral de
Charles CONNOUË
Photos ex wiki , Ministère de la Culture et Michel CARON
NUAILLÉ-SUR-BOUTONNE

Commune du Canton d'AULNAY (à 5 kms à l'Ouest
d'Aulnay et à 42 kms de Saint-Jean-d'Angély)
La modeste église de
Nuaillé, pauvre et peu connue, est cependant des plus
intéressantes. Le petit village qui se presse autour d'elle
quoique blotti dans la verdure et fort agréablement
baigné par plusieurs bras de la Boutonne, n'est
guère fréquenté. Seuls, quelques
impénitents amateurs de vieilles pierres, viennent de temps
à autre visiter les beaux vestiges de pur roman
réunis là.
L'église, dédiée à Saint
Brice, semble contemporaine de Saint Pierre-d'Aulnay et avoir
été construite vers le milieu ou la seconde
moitié du XIIe siècle. Son style est de la bonne
époque. Des mutilations ont, au cours des
siècles, modifié son aspect,

celui de la
façade notamment, dont toute la partie supérieure
a été refaite.
Cette façade, d'un très faible
développement, est presque tout entière
occupée par le remarquable portail qui a fait la
renommée de Nuaillé. Au-dessus, s'appuyant sur
une corniche dont tous les modillons et presque toute la tablette ont disparu, ne s'élève qu'un
simple mur reconstruit, troué d'une fenêtre sans
style surmontée d'un fruste campanile à une seule
baie.

Les murs extérieurs sont à peu près
intacts. Ils ont conservé leurs étroites
fenêtres romanes ornées de colonnettes ainsi
qu'à leurs extrémités Ouest, les
massives demi-colonnes d'angle qui montent jusqu'à
l'épaulement du pignon où elles sont
arasées.

L'abside circulaire est renforcée par des groupes de trois
colonnes-contreforts montées sur un soubassement et
ornées à leurs bases de demi-besants
opposés et alternés, mais leurs chapiteaux ont
disparu. Elles encadrent trois fenêtres à
colonnettes relevées d'un filet à pointes de
diamant et d'un bandeau à double rangée de
feuilles, qui les réunit l'une à l'autre,
à la hauteur des tailloirs.

Le portail, sans avoir l'ampleur et la richesse de ceux d'Aulnay (il
est exactement un portail d'église de campagne),
mérite néanmoins un examen prolongé.
Il se compose de deux fortes voussures en plein cintre
bordées d'un cordon, le tout porté par quatre
colonnes dont deux torsadées. Les larges tailloirs des gros
chapiteaux se prolongent en un bandeau jusqu'aux deux
épaisses colonnes qui limitent la façade et en
consolident les angles. Enfin, un gros bloc ouvragé s'appuie
à gauche sur ce bandeau et, curiosité absolument
unique, sinon très artistique, un sarcophage de pierre avec
son couvercle est à demi-engagé dans la
maçonnerie presqu'au bas de la muraille de droite.
Par suite de la mauvaise qualité de la pierre
employée toutes les décorations de cette
façade, sauf les personnages des voussures, sont
très détériorées et
difficilement discernables. L'ensemble a un caractère
très archaïque.
De nombreux savants ont détaillé les diverses
scènes du portail, mais aucun n'a donné
l'explication de ce sarcophage anormal et inattendu. Un
érudit régional a émis
l'idée que ce tombeau aurait pu recevoir les restes d'un
maître d''œuvre tué accidentellement au
cours de la construction. Il est plus vraisemblable d'y voir une
sépulture très vénérable
devant laquelle les habitants venaient s'agenouiller en passant, celle
d'un personnage local, un prêtre de l'église par
exemple ou d'un couvent voisin. A moins qu'un pieux moine architecte et
philosophe n'ait voulu par ce symbole frappant maintenir
présente à l'esprit l'idée de la mort
: « Frère, il faut mourir ! »
Par contre, nombreuses ont été les
interprétations des scènes ornant, les voussures
dont les personnages sont exécutés avec une
minutie rare. Signalons en passant que l'imagier a
été, dans la circonstance, servi —
comme ceux d'Aulnay — par une qualité de pierre
exceptionnelle. Ce calcaire compact, sorte de liais à grain
très fin, à cassure nette, presque coupante,
conservé parfaitement l'arête ; il est
très abondant dans la région et provient des
carrières de Saint-Georges-de-Longuepierre,
localité voisine.

Sur le cordon de l'archivolte sont couchés six personnages
tête tournée vers le sommet où manque
le claveau central. Certains y ont vu les Vierges Sages et les Vierges
Folles, thème fréquent sur nos façades
saintongeaises ; mais il s'agit plutôt ici d'anges adorants.
La grande voussure présente vingt-cinq personnages debout,
la petite seize. Chaque archéologue a donné son
explication. Les uns y ont vu Saint Georges, un roi David, une
Annonciation, le songe de Joseph, une arrivée des Mages
à Bethléem, suivie d'une Adoration. D'autres y
ont trouvé Jésus au milieu de ses
apôtres, puis un massacre des Innocents par Hérode, où encore le
Christ apparaissant à ses disciples sur la route d'Emmaüs.
Ch. Dangibeaud estimait qu'il s'agissait des scènes
répétées avec plus de
détails sur le portail de la cathédrale de
Poiliers.
En attendant l'accord des commentateurs passés et
à venir, disons que ce portail par la qualité de
son exécution est une des beautés
archéologiques de la Saintonge.

Dans le massif groupe à gauche au-dessus du bandeau on
distingue, avec difficulté, un démon s'emparant
d'un damné.

Photo: Michel CARON
Sur les chapiteaux, très chargés et
très abimés, on discerne une abondance de
démons de toutes sortes suppliciant des
réprouvés.
Enfin, sur les larges tailloirs des chapiteaux et sur le bandeau qui
les prolonge se détache toute une suite de dragons
interrompue seulement à droite par un ange.
D'après une opinion fréquemment émise,
des ouvriers d'Aulnay seraient, venus travailler à
Nuaillé et auraient peut-être construit cette
église. Ce n'est évidemment pas impossible, mais
un examen attentif des détails fait ressortir plus de
dissemblances que de ressemblances.
Sans doute la pierre travaillée est la même ; mais
elle abonde dans la région ; la position des personnages
debout est la même aussi, mais d'autres portails en Saintonge
sont décorés pareillement. Quant aux
démons et aux dragons, c'est le thème habituel de
la décoration romane.
Les différences sont plus nombreuses. Les personnages plus
délicatement exécutés qu'à
Aulnay sont en même temps plus frêles, tout en
accusant moins de relief, mais et c'est là le point
important, la disposition, l'ordonnancement, manque de soin
à Nuaillé, alors qu'il en a tant dans
l'église voisine. A Aulnay, chaque
élément est exactement à sa place. A
Nuaillé a régné une aimable fantaisie.
Les personnages de la grande voussure sont tantôt trop
serrés comme à gauche, tantôt
séparés par des vides garnis de motifs de
remplissage, comme au centre et à droite. Toute l'archivolte
n'est occupée que par six sujets (sept avec le manquant),
mais il restait de grands espaces disponibles aux
extrémités, l'artiste y a posé soit de
vagues arabesques, soit des images imprévues, par exemple
celle d'un poulpe à droite !
Mais si l'ouvrier n'avait pas de quoi meubler ses cintres il lui est
quand même resté une pièce
intéressante inemployée. Il l'a posée
sur le bandeau à gauche, comptant sans doute sur le
sarcophage à droite, pour respecter les lois de la
symétrie !

Photo: Michel CARON
Les chapiteaux de la nef sont ornés de feuillages comme
à Aulnay et ailleurs, mais ceux de Nuaiilé sont
d'une exécution hors de pair. Gâtés par
des chaulages successifs, ils n'en montrent pas moins un dessin d'une
rare perfection. Leur exécution délicate et
très fouillée en font des modèles du
genre. S'ils en rappellent d'autres, ce n'est pas ceux d'Aulnay, mais
ceux de Saini-Eutrope à Saintes, église haute.
Les quelques autres chapiteaux de Nuaillé
complètent la série des différences.
 
Photos: Michel CARON
Deux sont ornés de têtes humaines d'excellent
facture, deux de démons joufflus qui n'ont pas leurs pareils
à Aulnay, où les démons sont toujours
durs et hideux.
L'imagier de Nuaillé, doué d'autant de savoir
faire, avait plus de grâce et plus de liberté que
celui ou ceux d'Aulnay.

Photo: Michel CARON
L'intérieur de l'église est
particulièrement pauvre et à part ses clmpi
leaint, n'offre rien de remarquable. Les quatre travées de
la nef plafonnais en plâtre sont
séparées par des colonnes adossées
directement au mur. Des groupes de trois colonnes limitent
d'une part la nef, d'autre part le chiœur.
L'abside en cul-de-four est éclairée par trois
fenêtres à cintres surbaissés
ornés de tores. Pas de transept, pas de chapelles. La seule
fantaisie qui relevé un peu la nudité de cet
ensemble est un bandeau semblable à celui de
l'extérieur qui, courant à hauteur des tailloirs,
fait tout le tour de l'église.
____________________Fin du texte de Charles
CONNOUË
Les
églises de SAINTONGE
livre III épuisé
édition:
R.DELAVAUD (Saintes)
avec leur aimable
permission._______________________________
Le site de Mr JALLADEAU décrit les sculptures du portail:
http://jalladeauj.fr/portailsromans/styled-7/styled-41/
Le site d'où proviennt les photos de Michel CARON:
http://ch.lerolle.free.fr/eglises17/index3.php#n
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